Images dépareillées d’instants éparpillés
Promène ton regard …
Images dépareillées d’instants éparpillés
Promène ton regard …
Tisser sa toile (La Boca, Buenos Aires)
A la Boca, autour de cet arbre, une maille à l’envers, une maille a l’endroit, couleurs dépareillées, comme l’image de tant de destins croisés au fil des mots égrenés, à peine se rencontrer et l’essentiel à dire, la vie, l’amour, la mort, le goût de l’autre, les erreurs qui nous pétrissent, la curiosité qui nous permet d’avancer, de choyer sa légèreté quand les jours se font lourds.
Ouvrir son regard, voir au-delà des apparences, se sentir être (ou ne pas être ? là est la question) en appesanteur dans le grand vent du monde
Il faut revenir, fini de lire « En Patagonie » de Bruce Chatwin, en regardant le paysage s’enfuir par la fenêtre du bus, bye bye, il faut repartir.
Avec E. promener la nostalgie du départ à Puerto Madero, les grues sont des insectes géants, sentinelles de lumière sur les quais déserts.
S’arrêter pour dîner, siroter un malbec en dégustant une dernière parillada, et retrouver tard dans la nuit, autour d’une table de San Telmo, les belges rencontrés le matin à San Antonio de Areco, s’étonner gaiement des drôles de facéties du hasard.
Traverser la nuit noire, arpenter les pavés mal rangés, les cris des joueurs résonnent, les graffitis veillent, se poser dans un vieux café où un solitaire, tout de noir vêtu, les cheveux gominés, l’air compassé, s’attable devant un énorme pavé, une bouteille de vin rouge dont il se sert un verre pour aller fumer, assis sur le trottoir, allers et retours dégingandés. Suspendre le temps en dégustant une Caipirinha, avant de rentrer dans le silence de la ville endormie.
Dernière matinée, la carte postale du caminito écrite à l’arraché place Dorrego, sous le soleil sous le ciel bleu dont il ne restera bientôt qu’un souvenir. Le silence des départs, l’émotion tangible. Partir.
Toi tu restes. Dans l’autre hémisphère. Mais c’est moi qui est la tête à l’envers.
Je te dédie les images et les mots de ce voyage dont je reviens dépaysée, dont l’empreinte se creuse dans le silence et dans l’absence.
Ici c’est l’hiver et tu es en été, en devenir, cela compte seulement,
J’ai aimé là-bas, le murmure des murs,
« On vit ce qu’on veut vivre, il faudrait peut-être tout doucement repartir de là… Observer ses rêves et ne rien oublier, se tenir sous sa propre bienveillance en guise de jugement, et commencer par désirer être là où l’on se tient, reprendre pour soi et en soi ce que l’on fait, ce que l’on aime.. »
Anne Dufourmontelle « l’Eloge du Risque »
Suerte !
Dernier week-end dans l’autre Hémisphère, quitter Buenos Aires pour la Pampa, San Antonio de Areco, la patrie des gauchos traditionnels.
Un air d’un autre temps, rafraîchissant, maisons basses et pimpantes, déjeuner au bord de l’eau, musiciens dominicaux et gauchos autour du feu, balade et baleicito* sur la place au soleil, couples transportés par la musique et la danse, entraînés dans ce qui ressemble à une parade nuptiale, les ans sublimés par l’amour et la beauté du geste. Nous demeurons longtemps à les regarder, fiers gauchos empruntés, enfants fascinés, petits pas maladroits dans les pas des grands, et la joie d’être là. Simplement.
* petit bal
Gauchos de parade et d’apéro / coca, ils sont là, en ferraille et en toc/a /cola et en chair et en os…
Tout soleil sur San Antonio de Areco, la vie au ralenti, odeurs d’été, nous à vélo, gauchos à cheval et poussière de la route, les familles, le maté en bandoulière,
Le soir venu, les vieux bistrots dans leur jus, apéro cacahuète dans l’intimité des cafés, à nos côtés, les petites vieilles sont de sortie, soda, eau parfumée, papotage et grignotage…
Un tour de carriole pour voir d’un peu plus haut le village, rythme et secousses différents, odeurs aussi..
L’Hippotamo, à San Telmo, un de ces cafés où il fait bon se poser et regarder passer le temps, les gens.
A l’Hippopotamo, comme dans tous les bars, de l’autre côté du miroir, il y a les petites mains qui cuisinent, font la plonge et servent, pour une poignée de pesos. J’en connais une. Les rêves au loin.
Des trombes d’eau détrempent la ville, l’assombrissent de gris, isolent les passagers du bus derrière une buée obstinée. Alors me parlent, dans cette bulle, deux « signora grande » de la ville que fut Buenos Aires et de ce qu’elle est devenue, dans un lent désagrègement.
Visite guidée du solennel Congresso Nacional où je fuis la pluie
Mise en abyme au Musée des Beaux Arts les premiers tableaux sont ceux de Candido Lopes « La bataille de Curupayti » et le soir dans « Le chanteur de Tango » de Tomas Eloy Martinez, je lis « … une lumière pourpre a balayé la façade du musée des beaux-arts, dans les salles duquel j’avais contemplé deux semaines plus tôt des scènes de la bataille de Curupayti que Candido Lopes avait peintes de la main gauche entre 1871 et 1902, après que sa main droite eut été arrachée par l’explosion d’une grenade. »
L’image de la ville diluée dans les rideaux de pluie qui difracte les lumières, on se presse, évitant les trous d’eau du trottoir, pièges qui se referment sur un pied dépité d’en avoir rajouté à l’humidité…
Café Dorrego, comptoir tatoué de souvenirs, ceux qui sont passés, cœurs gravés, amours figés dans un semblant d’éternité, sur la place les artisans sont installés, une petite table et trois fois rien, un bonnet, un gilet au crochet, 3 bijoux, 4 tasses à maté, des pralines et du cuir travaillé, damiers noirs au sol, tables et chaises de bois fatigués, au garde-à-vous dans des vitrines, d’antiques bouteilles de liqueurs, Gardel toujours présent chante encore, et je sirote mon café sous son air éternellement souriant.
Quitter Puerto Madryn l’après-midi sous la pluie battante et un grand vent de tempête, le bus comme un bateau ivre, nous le regard égaré par la lente traversée de la nuit éclaboussée…
Au matin Buenos Aires a un air chagrin, gris et pluie, alors … s’immerger dans des musées
D’abord la belle architecture et l’importante collection d’art colonial du musée de Arte Hispano Americano, iconographie religieuse et vitrines anecdotiques, un autre voyage, dans le temps.
E. en passant m’a raconté l’histoire de ce building, le premier, ou le plus grand, je ne me souviens plus. Une mère ravagée de chagrin le fait construire après le suicide de sa fille. L’église, fief des chrétiens bien pensants à l’origine du chagrin d’amour de son enfant, en devient minuscule et perd son horizon…
Découvrir une oeuvre de Liliana Porter que je ne connais pas, au Malba. Demeurer là, fascinée, emportée par les histoires minuscules qui se jouent là, qui nous sont données et que l’on se raconte, tout à la fois.
M’adonner à un lent vagabondage poétique et rêveur autour de cette oeuvre. Les images volées n’en disent presque rien… Ce sont madeleines des souvenirs.
Le soir s’enveloppe de rose doré, enlumine la belle architecture du quartier Palermo Chico. Il fait doux s’y égarer.
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Museo de Arte Hispano Americano Isaac Fernandez Blanco (gratuit le jeudi)
Malba (Muséo de Arte Latino Americano de Buenos Aires) entrée : 40 pesos – pour y aller : bus 130
1 H 20 de collectivo et 40 pesos de Puerto Piramides à Puerto Madryn, l’entrée dans la ville ne ressemble à rien, un terrain vague battu par les vents, la poussière de sable recouvrant tout et les déchets, les maisons de briques inachevées, usines et entrepôts, de larges pistes de gravier, mauvais choix pour dormir : « El Ritorno » où l’on n’a pas envie de revenir, chambre avec vue sur carrefour, douches partagées sans loquet et tenancière moraliste … un embrouillamini de fils pour horizon … et la rumeur lancinante de la rue, quel contraste avec la douce nuit de Piramides !
De bonne heure vient nous chercher en taxi un petit monsieur débonnaire, rond et chauve, un léger cheveu sur la langue… nous passons par Trelew récupérer un couple madrilène en provenance directe de la froide Europe, direction Punta Tombo, longue route de steppes encore, haies de tamaris battues par le vent, propriétés immenses, désertes et sans relief si ce n’est un cône de sable pétrifié, au beau milieu.
Une piste descend vers la réserve, rouge et gris du sol, vert profond des arbustes, mer turquoise et ces sérieuses petites bêtes qui se déplacent comiquement, nichent et couvent leurs oeufs avec constance, un zorro colorado, des guanacos, un « peludo », la baignade des pingouins.
Et le regard s’égare dans ces espaces là, déserts et peuplés, et le cœur se fait plus vaste, l’âme contente à contempler le mouvement amusant de ces sérieux infatigables.
Entre Punto Tombo et Trelew il y a Caïman. Sont venus s’échouer là, il y a longtemps de cela, quelques gallois, alors ici c’est maisonnettes proprettes et maison de thé.
Il y a encore, à Trelew, le musée paléontologique Egidio Feruglio. Dinosaures, ammonites et fossiles. Géants fascinants qui nous parlent de la nuit des temps.
Retour au « Ritorno », la jetée arpentée, le soleil couchant, le grand vent, bon restaurant et gros dodo.
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quelques tarifs :
Entrée de la réserve de Punta Tombo : 78 pesos (pour les étrangers)
Taxi pour l’excursion d’une journée : 420 pesos/personne
Consigne bagages à Puerto Madryn : 15 pesos
Un jus d’orange, un maté face à la mer, les moineaux culottés, vives les couleurs des fleurs, jaunes, oranges, roses, blanches, mauves sur le bleu franc des jardinières,
des enfants se baignent, éclats de voix, éclats d’écume, la mer est haute, recouvre la plage que nous avons arpentée ce matin, jusqu’à la grotte découverte à marée basse. Nos pas les seuls dans le sable. Un bateau revient, tiré par le tracteur, retour d’observation des baleines, Tryo en fond sonore.
A cinq kilomètres de Puerto Piramides, on rejoint à pied une anse où se prélassent des lions de mer, à proximité des oiseaux et des baleines, marche dans un décor tourmenté de toute beauté, de robustes épineux ploient sous le vent, sur la piste un serpent, le véhicule d’un « guarda fauna », plus loin un guanaco en ombre chinoise guette le large où une baleine joueuse saute dans de grandes gerbes d’écume, avec une incroyable légèreté. C’est le présent de cet instant.
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La compagnie « Mar y Valle » assure les trajets Puerto Madryn / Puerto Piramides pour 40 pesos
En semaine : départ de Puerto Madryn 6 h 30 – 9 h 45 – 16 h / départ de Puerto Piramides 8 h 10 – 13 h – 18 h
Le week-end une seule rotation : départ de Puerto Madryn à 9 h 45 / départ de Puerto Piramides à 18 h