De Gangi à Cefalu

La route traverse la montagne, brodée de neige, vent glacial. On ne croise que les chèvres, les vaches, un berger. A Castelbuono, la vie au ralenti, en demi teintes, régal de pâtes aux champignons et aux amandes dans l’Enoteca déserte. Le patron du bar Cin-Cin, en mal de conversation française, à laquelle je ne comprends pas tout.

 

 

La route serpente encore vers Pollina, perchée sur son rocher. 3 jeunes garçons jouent au ballon et se renseignent sur cette drôle de touriste solitaire. Les ouvriers aussi qui me demandent si je suis une « tourista ». Le soleil, le ciel bleu aux abonnés absents. La magie du silence, le vide apaisant.

 

Cefalu, le froid pénétrant. Le loueur d’Airbnb nous plante là. Les sympathiques propriétaires du bed and breakfast d’en face, à qui je ne raconterai pas ma vie mais qui acceptent de défaire le « letto matrimoniale » pour nous préparer des lits jumeaux. La pluie nous suit. Lumière changeante. Vagues énormes. Longue balade et pause au bar. Aperol Spritz. J’avais oublié le nom de cette boisson orangée que les jeunes sirotent à cette heure, en parlant d’abondance.

« Loin d’être candide en pensant que tout va bien, on a conscience que le chaos existe. On ne se laisse pas cependant intimider en s’imaginant qu’il peut quelque chose contre l’existence et son essence. Ainsi, on traverse la tempête au lieu de se laisser submerger par elle. Foi insubmersible dans le principe harmonieux de toute chose, la sagesse est alors non seulement un bonheur, mais le bonheur même » Bertrand Vergely « Deviens qui tu es »

de Taormina à Borgo Cipampini

Piazza Vittorio Emmanuelle II, tavola calda, à l’intérieur, à l’extérieur, s’agitent les gens d’ici. Un ristretto, un capuccino. Dehors il fait beau, soleil sur les conversations croisées, un chat tigré fait le guet. Les touristes pas encore levés, si parla italiano, ça s’exclame plutôt. Le matin crépite, léger et frais.

Flâner dans les rues au charme nonchalant, la paix des églises, celle des jardins. Au loin la mer immobile, tour à tour bleu d’acier pâle, tourterelle irisée.

Jardin public a Taormina

L’autoroute vers Palerme, champs jaune vif, presque fluo sur fond de montagnes d’étain. Le paysage soulevé au loin. Un vert d’hiver, un vert de printemps. de l’un à l’autre les passereaux font la liaison.

Attention travaux ! Ouvriers arrêtés, les yeux dans les vagues du paysage. Ouvriers allongés dans cette flaque de soleil.

En direction de Gangi, la route se plisse, bourrelets d’asphalte et bitume déchiré.

La locanda di Cadi, notre chambre d’hôtes, est cachée dans un village miniature, tout de pierres serrées, chemins pavés, jolie chambre chaulée, égayée de céramiques.

Escapade vers Gangi, dans une brume de pluie glacée. Les enfants échappés de l’école colorent les rues délavées, un corbillard emmène le défunt du jour vers sa dernière demeure. Contraste saisissant entre les courses poursuites des petits et l’immobilité compassée du cortège funéraire bloqué dans l’étroite ruelle du village.

Au retour, la neige redessine le paysage, les voitures glissent doucement le long des ondulations de la route repeinte de blanc. Puis la pluie reprend la main, et le vent.

Dans la tourmente, vent furieux, une petite vieille sous son parapluie, burinée, large sourire édenté,nous explique en patois d’ici un chemin auquel on ne comprend rien. Suit du regard notre voiture égarée, hochant la tête d’un air étonné.

L’eau dévale les pavés, ruisselle en abondance, miroirs illusoires.

 

Se réfugier à FuocoLento, royaume de Diego, le chef inspiré, 4 convives ce soir là. En même temps que nous, un jeune homme et sa compagne, jolie  citadine élégante effrayée par le chat, le chien. Grimaces cocasse. Rires.

Une brassée de bois vert dans le poêle a tellement enfumé la salle que les yeux piquent, alors la porte ouverte laisse engouffrer le vent glacé, petits bouts des doigts gelés. La magie de la cuisine de Diego va tout effacer !

En prélude, un assortiment de fromages et charcuterie des petits producteurs del parco delle Madonie, qu’accompagnent une marmelade de citron maison, cœurs d’artichauts et poivrons rouges marinés à l’huile d’olive et à l’ail pour la touche de couleur, des olives charnues, une omelette fine recouverte d’herbes des montagnes, des « polpete » : boulettes aériennes et croustillantes à base de cosses de fèves, pomme de terre et oeuf enrobées de chapelure suivent. Plat du pauvre après guerre, la recette oubliée est réhabilitée par Diego, cuisinier amoureux de ses produits. Le régal ensuite d’une aérienne friture mixte de légumes, brocolis, poivrons, oignons, pomme de terre, aubergine avant de s’extasier devant un plat de pâtes à la Norma.

Les petites entrées nous ayant mis en appétit, nous attaquons un plat de viande de porc et saucisse de sanglier fondants, entouré d’un petit assortiment de cœur d’artichauts et fèves au romarin. Subtil mélange de texture et saveurs pour papilles en émoi.

On peut terminer en beauté avec une salade de fruit frais et une casata siciliana toute douceur.

Borgo Cipampini

Ce matin là,

La petite chatte efflanquée, à la crinière de lionne, fait littéralement du lèche vitrine en bavant sur notre petit déjeuner

La vieille dame à chapeau et pèlerine (la mamma de Diego I presume) est collée au poêle, récite son bénédicité avant de déjeuner d’un bel appétit tout en marmonnant, une prière peut être, sans discontinuer ni répondre à nos sourires insistants et puis, se lève et s’en va en nous saluant d’un grand sourire et « bon voyage » dans un français parfait du meilleur effet !

Petits détails pratiques, budget

A/R Easyjet Paris Catane 101 € (du 5 au 12 mars)

Rental cars (loueur Locauto) : location Opel Corsa pour 7 jours : 120 €, rachat de franchise inclus (ne pas prendre l’option à l’aéroport qui double le prix de la location)

Une nuit à la Locanda di Cadi, avec diner (sur commande uniquement) et petit déjeuner  a fuocolento : 100 €/2 personnes

 

Paris Spina Bifida Catania Taormina

Dans le titre du post, ne cherchez pas l’erreur, il n’y en a pas. Au dessus des nuages, il y a les confidences de Maria, à côté de moi, intarissable dame brune. Raconte sa vie de sicilienne à Paris, enfants grandis dont une, Maryse est née handicapée, mais joie de vivre incarnée,  atteinte de spina bifida mais en marche, sa mère à ses côtés, toutes entières accrochées à la vie. Maria se lance et organise les liens entre patients et médecins, vole de conférence en conférence, d’un pays l’autre, donne sens à la souffrance, la transforme en énergie positive. Elle irradie.

Maria parle et je l’écoute, Maria parle et parle encore, puis s’endort brusquement. Phrase en suspens. Je dépose ces quelques mots pour elle, et pour Maryse, et leur éveil !

Lourds nuages noirs sur Catane, lumière diffuse des averses, circulation dense sur une autoroute défoncée, nids de poule et fissures. Entre le théâtre grec et le théâtre romain, Casa Dana à Taormina, une clé sur la porte, un cœur accroché et personne ne répond. C’est que la signora est très âgée, toute pliée, un souffle pour désigner en haut de l’escalier très raide la chambre 2, une chambre de pensionnat, couvre lit à angelots, carrelage froid.

Taormina se vide le soir venu, les boutiques à touristes ferment, le petit vent glacé fait se presser les rares passants, un chat roux et le silence est doux, sous la lune ronde qui dessine des images dans les nuages, belle architecture, ruelles pavées, échappées d’escalier et tout en bas la mer que l’on devine, la rumeur lancinante des vagues, les lumières au loin tremblent et ce sont joyaux qui vacillent.

J’aime que la ville soit presque déserte. La beauté que recèle le vide entre les murs pleins, ces histoires que l’on s’invente alors, des romans du passé, désirs, espoirs, luttes, amours toujours recommencés.

O les vitrines de massepains dodus, limoncello, oranges charnues, odeur doucereuse et puis l’élégance à l’italienne dans les boutiques de luxe installées sans vergogne dans des maisons aux allures de palais.

Place du IX Aprile, les damiers bien rangés sous un ciel désordonné, éclairée la fontaine de la piazza del Duomo, mosaïques d’il y a 2 siècles avant J.C. Le passé incrusté dans un présent nonchalant de fin d’hiver, le bonheur d’arpenter cet instant.